Savoir et comprendre
Résumé
Comment répondre aux préoccupations des Français face au risque nucléaire ?
12/11/2012
Source : Magazine Repères n°15, Octobre 2012
Les attentes du grand public en matière d’information sur le nucléaire font l’objet d’études. Pour les connaître et trouver la meilleure façon de les satisfaire. Un sociologue et le directeur de la stratégie de l’Institut partagent leurs expériences et leurs visions, entre théorie et pragmatisme.
Comment identifier au mieux les grandes préoccupations des Français ?
Matthieu Schuler : Le principal outil de l’IRSN est son Baromètre. Ce sondage annuel consacré à la perception des risques et de la sécurité nous donne une mesure la plus rigoureuse possible des inquiétudes que peut avoir la population française dans de multiples domaines : économie, environnement, société… Une attention particulière est portée aux risques technologiques et plus spécifiquement nucléaires.
Francis Chateauraynaud : En tant que sociologue, je privilégie les démarches plus dynamiques. Je construis des outils et des concepts permettant de suivre les processus dans leur globalité, de leur constitution à leur disparition. Cela fournit un tableau assez large de la manière dont évoluent les prises de position sur une grande variété de dossiers. Cette approche fournit de puissants points de comparaison. Elle aide à identifier les préoccupations forgées par la société civile.
M. S. : Le Baromètre IRSN ne peut aller aussi loin, ni dans autant de directions, car il implique de conserver une certaine stabilité dans le temps. La liste des sujets ne change pas radicalement d’une année sur l’autre. Elle s’étoffe en fonction des grandes tendances que nous observons au fil de notre veille et des contacts avec les associatifs. Nous gagnerions sans doute à élargir ce cercle aux sociologues et à renforcer notre réflexion par des analyses sociologiques sur l’émergence ou la disparition des thématiques de la sphère des préoccupations publiques.
F. C. : Face à l’approche qui consiste à se focaliser sur les sujets qui préoccupent les instances et les médias, on peut chercher à rendre compte de la cristallisation des préoccupations des acteurs sociaux en saisissant les processus d’engagement ou de mobilisation. Aidé par une méthodologie informatique appliquée à de grands corpus, il est possible de faire remonter des configurations qui ne sont pas forcément visibles.
Comment mieux impliquer la société civile dans le débat sur le nucléaire ?
F. C. : Des solutions ont été testées, notamment les dispositifs de concertation et les débats publics. Mais dans des situations prises entre politisation d’un côté et cadrage technique des discussions de l’autre, il n’est pas facile de définir ce qu’est un bon débat public. Dans cet objectif, le groupement d’intérêt scientifique du CNRS « Démocratie et participation », qui regroupe des centaines de chercheurs, a pour vocation d’alimenter en continu la réflexion sur les modalités et les effets des différentes formes de participation des publics.
M. S. : Le dispositif de gestion des risques nucléaires sera d’autant plus efficace que la société civile exercera sa capacité à nous interpeller. C’est la conviction de l’Institut. À nous, experts, de nous adapter pour instaurer un débat en profondeur et au plus proche des citoyens, en fonction de leurs attentes. Les nouvelles technologies, et en particulier Internet, représentent à cet égard un outil à apprivoiser. La saturation de notre réseau au début de la crise de Fukushima a démontré le potentiel d’attention du grand public.
F. C. : De fait, le Web a accentué de façon inouïe la mise en circulation d’alertes, de discussions, d’expertises, de contre-expertises… C’est une source d’information aussi riche que complexe pour un organisme institutionnel…
L’accident de Fukushima peut-il servir à renforcer les liens entre le grand public et les experts ?
F. C. : Oui, dans la mesure où l’interprétation de l’événement fait émerger des publics nouveaux, qui contribuent à renouveler les questions et les enjeux sans reproduire à l’identique les figures critiques classiques. Si les objets et les publics peuvent se construire en commun, comme c’est le cas à la suite de Fukushima, les interactions sont renforcées. Une des vertus de l’IRSN est d’informer sur les émissions de radioactivité, sans être à leur source, contrairement aux exploitants.
M. S. : Notre principale interrogation : ces publics nouveaux conserveront-ils leur attention à moyen terme ? Nous ne pouvons le dire pour l’instant, car il se pose un problème de temporalité. Il faudra plusieurs années pour tout analyser sur le plan technique et faire mener les actions concrètes par les exploitants, alors que les attentes de la société s’expriment au présent. Là encore, le Baromètre nous permettra de mesurer la « rémanence » du signal.
F. C. : Une chose est sûre, le relais – très visuel – de l’événement par Internet et dans les médias a permis de dépasser un « seuil » de préoccupation publique. Fukushima restera longtemps dans l’esprit d’un large public. Celui-ci va sans doute intégrer l’idée, déjà développée par les experts, qu’il faut désormais être préparé au pire et qu’il est indispensable d’œuvrer de concert à la configuration des dispositifs destinés à anticiper de futures catastrophes, qu’elles soient d’origine naturelle, industrielle ou terroriste.
M. S. : Ces dispositifs doivent de surcroît se coconstruire au-delà des frontières. Il y a suffisamment d’émotion et donc d’attention politique en Europe pour faire bouger les lignes. Et, quels que soient leurs choix, en matière de nucléaire, les pays et l’Union européenne se sentent en devoir d’apporter le même degré de confiance à tous les citoyens européens.
A retenir
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